Les travailleurs québécois ont de la difficulté à envisager de quelle manière leur carrière pourra évoluer tout en demeurant à l’emploi d’une même entreprise, ce qui explique pourquoi leurs patrons peinent autant à les fidéliser.

C’est du moins ce que le cabinet de services-conseils en rémunération globale et en ressources humaines Solertia a constaté en passant un coup de sonde auprès de 500 employeurs du Québec.

«Je dis souvent à mes clients que s’ils ne sont pas capables de projeter leurs employés dans le futur au sein de leur organisation, un chasseur de têtes y parviendra», dit son président, Frédérick Blanchette.

Parmi l’échantillon de PME interrogées, 70% des répondants ont laissé entendre que la fidélisation était un de leurs principaux défis. «C’est rendu plus facile de faire entrer de nouveaux employés aujourd’hui, observe celui qui est aussi conseiller en ressources humaines agréé (CRHA). Le défi, maintenant, c’est vraiment de les garder.»

Les principales raisons qui expliquent les démissions de leurs employés sont le développement et la progression de carrière dans 45% des cas, suivi de près par le salaire (40%), mais aussi des raisons personnelles (37%) comme un déménagement.

Ça fait écho à ce qui ressort des coups de sonde que Solertia passe habituellement auprès de la main-d’œuvre en matière de rémunération globale. La plupart du temps, indique son patron, ils n’ont aucune idée des occasions de développement qui s’offrent à elle.

«On parle de plus en plus du contrat social entre employeur et employé. Ce dernier est là pour faire un bout de chemin, avoir plusieurs vies dans l’entreprise. Si le premier ne respecte pas sa part, soit de le faire évoluer, de lui permettre de contribuer de différentes manières, le travailleur ne souhaitera pas rester bien longtemps», souligne Frédérick Blanchette.

Tirer son épingle du jeu

Le dirigeant constate que depuis le début de la pénurie de main-d’œuvre, l’offre de rémunération globale se normalise dans la plupart des PME. Certes, certaines parviennent encore à se distinguer, mais la plupart proposent des conditions de travail similaires. Là où elles se démarquent réellement, c’est dans le type de projets qu’elles proposeront, les occasions d’apprentissage, ou même le style de leadership qu’elles valorisent.

Pourtant, le développement des compétences et la formation n’ont été mentionnés que par 10% des répondants comme étant l’une «des pratiques de fidélisation dont elles sont le plus fières et qui ont un impact significatif sur l’organisation».

Les programmes de reconnaissance de l’ancienneté, la planification de la relève, l’identification des hauts potentiels, les programmes de développement des compétences, les plans de carrière ou individuels de développement sont présents chez un peu plus 40% des répondants dans l’échantillon général. Ces pourcentages sont toutefois encore plus faibles dans les entreprises qui éprouvent de grands défis de fidélisation.

Les chemins de carrières sont aussi très peu connus, présents chez 14% des organisations répondantes uniquement.

«Les PME nous répondent souvent que c’est normal, car comme elles ont peu d’employés, elles ont peu de choix. Chez Solertia, on était 12 et nous avions plusieurs occasions pour nous développer. On pouvait travailler sur des projets spéciaux, des comités, aller représenter l’entreprise dans la chambre de commerce», énumère-t-il.

Là où le bât blesse, d’après Frédérick Blanchette, c’est que le développement est encore très intrinsèquement lié à la progression hiérarchique, au fait de grimper les échelons d’une organisation. C’est pourtant bien plus vaste que ça, assure-t-il.

«C’est plutôt d’enrichir ses compétences, de t’impliquer dans d’autres aspects de l’organisation. Les entreprises qui ont le plus de succès [en matière de fidélisation] sont celles qui réussissent à développer leurs employés au-delà de leur rôle de base.»

Conditions gagnantes

L’étude explique en partie pourquoi les entreprises peinent tant à aider leurs employés à déployer leur plein potentiel: leurs gestionnaires ne sont peu, voire pas du tout, outillés pour le faire.

Le quart répondant disent que la «capacité à développer des employés» est une force de leur équipe de gestion, indique-t-on dans le document d’une vingtaine de pages. «C’est un problème important», estime Frédérick Blanchette.

Rares sont aussi les organisations qui ont pensé à un cadre, des processus ou un programme pour permettre à leur équipe de grandir de la sorte.

«Non seulement on sélectionne des gestionnaires qui n’ont pas les compétences pour épauler sur ce plan les membres de leur équipe, mais en plus on ne leur donne pas les outils pour le faire. On ne peut promouvoir une culture du développement parce qu’on n’a rien en place pour la mettre en œuvre, remarque-t-il. Ça, c’est la responsabilité de la direction.»

C’est pourquoi il encourage les dirigeants à s’y atteler, à poser de premiers petits gestes en sondant par exemple les employés. Surtout, il les exhorte à ne pas sombrer dans le fatalisme, de croire que la petite taille de leur organisation limite les occasions d’apprentissage.

«Ça peut être de lancer un comité philanthropique, un comité culture, développer des affaires, aller dans des congrès ou représenter l’organisation lors de gala comme les Mercuriades. On booste leur fierté, ils y développent leurs compétences interpersonnelles. On n’a même pas bâti de programme, j’ai juste impliqué les gens.»

L’employeur doit ensuite mieux expliquer, verbaliser ou rappeler à son équipe ce qui est mis à sa disposition pour grandir.

«C’est impossible pour l’employé de se projeter s’il ne le comprend pas», rappelle Frédérick Blanchette.

 

Les Affaires, Catherine Charron, 23 septembre 2024